Mémoires d'une fourmi

Sommaire

1.Où l'on fait les présentations
2.Où tout commence par un mariage malheureux
3.Où l'on visite une fourmilière
4.Où l'on voit des œufs, des larves et des cocons
5.Où l'on découvre qu'une fourmi ne bosse pas 24h/24
6.Où les fourmis revendiquent l'invention de l'agriculture
7.Où l'on voit comment les fourmis discutent grâce à leurs antennes
8.Où des fourmis naines cherchent des crosses aux fourmis rousses
9.Où l'on rencontre des fourmis bien de chez nous
10.Où l'on découvre des fourmis bizarres des tropiques
11.Mémo
12.crédits photos

 
1. Où l'on fait les présentations

entrée d'une fourmilièreJe suis une fourmi. Une simple fourmi rousse des bois, très répandue en France. Et si je suis ici, c'est pour vous raconter un peu ce qui se passe à vos pieds. Voyons...D'abord, je suis un insecte (mais ça vous le saviez déjà), donc je ne possède pas d'os mais un exosquelette, ou cuticule, sorte de carapace articulée anatomie d'une fourmiqui contient tous mes organes. Mon corps est divisé en trois parties, comme vous pouvez le voir sur la photo: la tête, le thorax et l'abdomen. La tête porte les mandibules, les antennes, qui sont les organes de l'odorat et de la communication, et les yeux, composés de centaines d'onomatidies, c'est-à-dire d'yeux simples reconstituant chacun un ''pixel'' de l'image. Le thorax porte mes six pattes, et l'abdomen contient la plus grande partie des organes (dessin).
Mais attention ! Les fourmis ne sont pas n'importe quelles insectes: nous sommes des insectes sociaux, ce qui signifie que:
- les larves ne sont pas autonomes et doivent être assistées par les adultes: c'est le ciment des sociétés d'insectes, car cela implique la cohabitation des larves et des adultes;
- les différentes taches sont répartie entre chaque individus: certains s'occupent de la reproduction, d'autres de l'approvisionnement en nourriture, d'autres encore de la défense de la colonie,etc;
- cette répartition du travail a entraîné l'apparition de caste, c'est-à-dire de catégories d'individus différents physiquement. Il y a trois castes : les reproducteurs mâles, les reproducteurs femelles et les neutres, ou asexués, qui sont souvent divisés en soldats et ouvrières, cette dernière catégorie, à laquelle j'ai l'honneur d'appartenir, étant de loin la plus nombreuse.
Les fourmis sont très diversifiées: il en existerait entre 12000 et 20000 espèces ! Cependant, nous avons plusieurs points communs: la jonction entre le thorax et l'abdomen forme un étranglement, seuls les reproducteurs ont des ailes... Nous formons la famille des Formicidés, elle-même divisée en quatre sous-familles: les Ponérinés, les Dolichodérinés, les Myrmicinés et les Formicinés. Il existe d'autres insectes sociaux: les abeilles, les bourdons, les guêpes... Tous ces insectes font partie, comme les fourmis de l'ordre des Hyménoptères (du grec humên, membrane, et ptéron: les ailes sont accrochées deux à deux de chaque côté pour n'en former que deux) Les termites vivent eux aussi en société, mais ils forment l'ordre des Isoptères.


2. Où tout commence par un mariage malheureux

fourmi ailéeCommençons par le commencement: la fondation d'une fourmilière. Vous voulez que je vous raconte? Ça commence par une chaude journée d'été. Les reproducteurs sortent en masse de la fourmilière. Contrairement aux neutres, ils possèdent deux paires d'ailes (photo). Ces fourmis ailées sont entourées d'une foule d'ouvrières surexcitées, qui les gavent de nourriture, et de soldats chargés de les protéger avant l'envol. Comme le vol nuptial a lieu en même temps dans toutes les fourmilières afin d'éviter la consanguinité, c'est un gigantesque nuage d'insectes qui se forme. Chaque femelle est poursuivie par quatre ou cinq mâles. Seuls les plus rapides pourront la rattraper et s'y agripper, avec difficulté car ils sont deux fois plus petit que leur conjointe. La femelle s'accouple successivement avec plusieurs mâles, puis ceux-ci, incapables de se nourrir et de se défendre, dépérissenaprès le vol nuptial...t rapidement (photo). La jeune reine, si elle ne se fait pas manger avant par les lézards ou les oiseaux, qui bien entendu profitent de l'aubaine, s'arrache les ailes, les mange pour se donner des forces puis se met en quête d'un abri, un simple trou dont elle ne sortira plus jamais. Une fois à l'abri, elle pond ses premiers oeufs. Quand les larves en sortent, elle doit les nourrir avec des œufs mort-nés et des sécrétions salivaires. Elle-même vit sur ses réserves de graisse. Quand enfin naissent les premières ouvrières, celles-ci commencent à construire la fourmilière et à nourrir la reine.
Si le vol nuptial se passe ainsi dans de nombreuses espèces, il y en a certaines qui contournent la difficulté de l'élevage des premières larves. Une jeune reine peut s'introduire dans la fourmilière d'une espèce plus petite et moins agressive, tuer la reine et faire élever ses premières larves par les ouvrières orphelines, qui mourront de vieillesse quelques mois plus tard. Dans une autre espèce, la reine est beaucoup plus grosse que les ouvrières et peut en emporter quelques-unes lors du vol nuptial, afin qu'elles puissent la nourrir et élever les larves.


3. Où l'on visite une fourmilière

Bon. Maintenant qu'elle est construite, cette fourmilière, voyons un peu à quoi elle ressemble. Neuf fois sur dix, elle est entièrement souterraine et on en voit que les entrées, des trous où circulent des dizaines de fourmis. Elle est parfois surmontée d'un terril construit avec la terre issue du creusement des galeries, et, chez les fourmis des bois comme nous, d'un dôme de brindilles et d'aiguilles (photo). Souvent, la fourmilière est construite autour d'une souche, sous un caillou... A présent, regardez le plan. La fourmilière est une vraie petite ville, vous pouvez y voir:

 fourmilière vue en coupe

a) Les entrepôts, où sont stockés les graines, les proies animales, etc.. (cf. chapitre 6).
b) La décharge, où sont évacués tous les déchets de la fourmilière: proies ''nettoyées'', cocons vides, 

enveloppes de graines. Elle sert également de ''cimetière''. Suivant les espèces, elle est à côté ou au fond de la fourmilière.

c) Les ''latrines'', où nous venons faire nos petits besoins. Elles sont tout au fond de la fourmilière pour des raisons évidentes d'hygiène.

d) Les loges d'hivernation, situées sous terre pour être à l'abri du froid (cf. chapitre 5).

e) Les loges des fourmis ailées. Celles-ci y passent toute leur vie jusqu'au vol nuptial.fourmilière géante

f) La loge royale, où la reine passe la plus grande partie de sa vie, sauf au printemps où elle remonte se chauffer dans les loges de la surface. La reine est entourée en permanence d'ouvrières qui la nettoient en la léchant et la nourrissent.

g) Les loges d'incubations, situées en surface pour profiter de la chaleur du soleil qui accélère le développement du couvain (nom donné à l'ensemble des œufs, larves et nymphes, cf. chapitre suivant).

h) Les entrées, surveillées par des gardiennes qui ne laissent passer que les fourmis portant l'odeur de la colonie.

Certaines espèces ne se contentent pas d'un nid souterrain: les charpentières creusent le bois et transforme les troncs en une véritable dentelle, les Oecophylles cousent des feuilles...(cf. chapitres 10). il existe même des arbres fourmilière! Il s'agit d'une sorte d'acacia qui présente des renflements creux à la base de ses épines, où suinte un liquide sucré. En échange du gîte et du couvert, les fourmis chassent les insectes mangeurs de bois et s'attaque aux girafes qui voudraient brouter les feuilles. Ce type d'association entre deux espèces s'appelle une symbiose.


 


 

4. Où l'on voit des œufs, des larves et des cocons


 ouvrières soignant des oeufs

reine fourmiDans tous le chapitre deux, je vous ai parlé d'œufs et de larves, sans vous expliquer de quoi il s'agissait. En fait, il c'est en quelque sorte les bébés fourmis. Tenez, je vais choisir une fourmi au hasard, moi par exemple, et vous raconter son développement. Tout commence avec la reine, qui devrait plutôt être appelée la mère (photo). Son abdomen contient des œufs non fécondés et de la semence mâle reçue lors du vol nuptial et stockée dans une poche appelée spermathèque. Lorsqu'elle pond un œuf, elle peut ainsi choisir de le féconder ou non; je vous expliquerais ce que ça change plus tard.
Donc, quand je suis née, il y a un an et demi, c'était dans un œuf (photo). Quelques jours après, j'en suis sortis...mais sous forme de larve: une sorte d'asticot tout blanc (photo). Des ouvrières étaient chargées de me nourrir et de me nettoyer. Il y avait juste une chose qui m'inquiétait: à force de manger, mon exosquelette allait être trop petit et éclater ! Mais heureusement, la solution à cet épineux problème me fut donnée quelques jours plus tard. Ma cuticule se fendit en deux au niveau du cou, et après m'en être sortit avec difficulté, je m'aperçus que j'avais pris un ou deux dixièmes de millimètres ! En fait, j'étais compressé dans mon ancienne cuticule, et en en sortant j'ai pu m'agrandir avant que ma nouvelle ''peau'' ne durcisse. J'ai donc mué trois fois comme ça, mais juste avant la quatrième il m'est arrivé un truc bizarre: je me suis mise à tisser un cocon, sans même savoir pourquoi. L'instinct, sans doute... Toujours larves de fourmiest-il que, après m'être installée dans mon cocon, j'ai mué pour la quatrième fois et... quelle surprise ! Je n'étais plus une larve mais une nymphe: J'avais l'apparence d'une fourmi adulte, mais en blanc. Enfin, sans mon cocon, parce qu'en vrai je ressemblai plutôt à un grain de riz. Et puis au bout de quelques jours, j'avais viré du blanc au brun et j'ai mué pour la dernière fois. Je suis sortit de mon cocon, j'ai laissé durcir ma carapace; j'étais enfin une fourmi adulte.
Au fait, qu'est ce qui fait que tel œuf devient une ouvrière, tel autre un reproducteur mâle, etc? Déjà, il faut savoir que les neutres sont tous des femelles. Et que ce qui détermine le sexe, ce n'est pas XX/XY comme vous: en fait, les chromosomes vont par paires, sauf dans les cellules sexuelles, car chaque parent apporte une moitié de la paire. Mais chez nous, les mâles n'ont qu'une moitié de la paire, et sont donc issus d'ovules non fécondés. Donc, ovule non fécondé = reproducteurs mâles. Mais le reste? Ouvrières, soldats, etc? Ça dépend principalement de la période de l'année (pour que les reproducteurs aient tous le même âge pour le vol nuptial) et de la nourriture reçue.


5. Où l'on découvre qu'une fourmi ne bosse pas 24h/24

Comme je suis née à la fin de l'automne, au début des grands froids, je n'ai pas commencé tout de suite à travailler. En effet, les fourmis hivernent, c'est à dire qu'elles passent l'hiver en vivant au ralenti dans les chambres du fond de la fourmilière. Ben oui, nous n'avons pas le sang chaud, nous. Nous restons à la même température que l'air autour de nous… Et comme, en hiver, la terre garde la chaleur, nous avons intérêt à nous enterrer pour toute la mauvaise saison. On reste conscients, mais notre cœur bat au ralenti et on vit sur nos réserves jusqu'à que la température remonte et nous réveille. Donc, trois mois après ma naissance, je suis sortie de ma léthargie et j'ai dû me mettre au travail. Et ce n'était pas ça qui manquait ! Réparer le dôme victime des pluies, sortir les corps de ceux qui n'ont pas passé l'hiver… Quel boulot ! Je suis vannée, moi, je ferais bien une petite sieste… Quoi ? J'ai dit quelque chose qui vous étonne ? C'est parce que j'ai parlé de sieste ? Attendez, vous ne croyez tout de même pas qu'on ne se repose jamais ? On est des animaux, pas des machines… En effet, les ouvrières qui rentrent d'un long périple à travers les herbes, après avoir déchargé leur butin, sont conduites jusqu'à une sorte de dortoir où, après avoir fait leur toilette, elles s'endorment d'un sommeil si profond que ''même l'attaque de la fourmilière […] ne les réveille qu'à demi'' (M. Maeterlinck, La vie des fourmis).
Tenez, puisqu'on en est aux clichés, autant vous parler du sport. Oui, vous avez bien lu ! Du sport ! De la lutte pour être précis. Remarquez, on pourrait aussi appeler ça de l'entraînement, puisque ce sont les soldats qui le pratiquent. Ils saisissent la mandibule, la patte, l'antenne de l'autre, tentent de le renverser, mais sans le retenir avec opiniâtreté ni lui lancer de venin comme lors des guerres; ils délaissent bientôt un adversaire pour un autre. Parfois ils s'attaquent aux ouvrières, mais d'aucun de ces combats, qui se déroulent sur le flanc de la fourmilière, ne sort de fourmi blessée ou mutilée.


6. Où les fourmis revendiquent l'invention de l'élevage

fourmis trayant des puceronsMais au fait, quel est mon travail? Je ne vous l'ai pas dit? Je suis une ouvrière récolteuse, c'est-à-dire que je récolte la nourriture pour mes congénères. Pour commencer, qu'est-ce que ça mange, une fourmi? Vu le nombre d'espèces différentes, on peut dire: ça dépend... D'abord, les graines, qui représente 5% de notre alimentation, mais constituent le menu principal des fourmis dites granivores. Comme nous ne pouvons nous nourrir que de liquides, elles doivent être mâchées pendant des heures pour être consommables. Ensuite, la viande, qui peut être des charognes de vertébrés, ou des insectes (≈40% de notre alimentation), base de l'alimentation des fourmis carnivores. Enfin, les jus sucrés: nectar des fleurs, sève (≈10%), fruits et miellat de pucerons (≈45℅). Sur ce point, je vous dois quelques explications. Les pucerons se nourrissent exclusivement de sève, aliment très -trop, même- riche en sucre. Ils se débarrassent donc de cet excédent de sucre par l'arrièrfourmis pots-de-miele de l'abdomen sous la forme d'un liquide extrêmement sucré: le miellat. Or, en échange d'une protection efficace contre les prédateurs de tous poils, les pucerons ne sécrète leur miellat que lorsque nous leur tapotons l'abdomen avec les antennes; une goutte de la précieuse liqueur perle alors et il ne nous reste plus qu'à l'aspirer (photo). Nous pouvons donc dire que nous avons inventé l'élevage. Certains de nos congénères ont, eux, inventé l'agriculture (cf. chap.10). Sur une meule de feuilles hachées, ils déposent un champignon qui colonise rapidement toute la motte. Une fois celui-ci arrivé à maturité, les ouvrières en moissonnent les extrémités puis les mastiquent pour en faire une pâte qu'ils redistribuent à toute la colonie.
Tiens, vous ne vous êtes jamais demandés comment nous faisions pour transporter et distribuer des aliments liquides? C'est très simple. Notre système digestif comporte une poche, appelée jabot social, où nous pouvons stocker des aliments sans qu'ils soient digérés. Si nous avons faim, nous pouvons en faire passer un petit peu dans notre estomac où il sera digéré, mais la plus grande partie du butin sera distribuée au reste de la colonie. Comment? Il suffit aux deux fourmis de se placer bouche contre bouche et de faire remonter le miellat (par exemple) du jabot de la donatrice vers celui de la demandeuse; cela s'appelle une trophallaxie. Je sais que ça vous dégoûte, vous autres humains, mais que voulez vous; la nature est ainsi faite. En tout cas ce geste se répète des centaines de fois par jour dans chaque fourmilières, et comme l'a si bien dit le poète Maeterlinck: "la fourmi n'est pas prêteuse, disait le fabuliste. C'est vrai, elle ne prête pas, car prêter n'est qu'un geste d'avare: elle donne sans compter et ne reprend jamais". Certaines espèces de fourmis d'Amérique ont poussé ce concept de jabot social à l'extrême. Vivant dans le désert, elles ont besoin de faire des stocks. Des ouvrières, surnommées à juste titre ''pot de miel'', sont gavées de jus sucrés, à tel point que leur abdomen devient énorme, sphérique et jaune (photo). Elles se suspendent au plafond de leur loge et pendant la mauvaise saison approvisionnent leurs sœurs en nourriture.

 

7. Où l'on voit comment les fourmis discutent grâce à leurs antennes

piste de fourmisMaintenant, un petit problème qui se pose couramment aux ouvrières récolteuses. Si je trouve, mettons, une flaque de miel, comment vais-je faire pour solliciter l'aide de mes collègues et leur permettre de trouver le miel ? Faire un parcours fléché ? Non, je crois que j'ai une meilleure idée. A la base de mon abdomen se trouve en effet une glande qui produit une substance odorante (pour nous, pas pour vous) appelée phéromone et qui se dépose sur le sol lorsque cet glande le frotte. Il suffit donc de laisser traîner mon abdomen au sol pour laisser une piste odorante que mes congénères pourront suivre grâce à leurs antennes, qui sont pour nous les organes de l'odorat (photo). Cette phéromone a plusieurs propriétés bien utiles: elle est volatile, donc une piste inutilisée disparaît; son odeurs attire les ouvrières proportionnellement à son intensité. De plus, chaque ouvrière qui emprunte une piste dépose sa phéromone. Ainsi, si deux éclaireuses découvrent en même temps la même flaque de miel et qu'elles tracent chacune deux pistes différentes, la piste la plus courte, parcourue plus rapidement, sera empruntée plus fréquemment que la plus longue piste et son odeur sera donc plus forte. Elle attirera donc plus d'ouvrières que l'autre, sera mieux entretenue jusqu'à que la piste la plus longue s'efface. Plus tard, lorsque le miel aura été épuisé, les ouvrières, en revenant, ne marqueront plus la piste qui s'effacera à son tour.
Autre problème. Si ce n'est pas du miel mais un gros insecte mort que je trouve, que faire ? On ne peux pas le ramener morceaux par morceaux, il faut rassembler plusieurs ouvrières pour le transporter. Ce coup-ci, plus de piste: je me contente de prendre des repères dialogue antennairevisuels (les fourmis des bois ont une très bonne vue) puis, une fois dans la fourmilière, j'explique la situation à quelques collègues. Comment ? Grâce, encore une fois, à des phéromones, associées chacune à une idée. Par exemple, si la phéromone A signifie ''aide-moi'', la phéromone B ''on m'attaque'' et la phéromone C ''nourriture'', la combinaison des phéromones A et B signifie ''aide-moi, on m'attaque'' et A et C ''Aide-moi, j'ai trouvé de la nourriture''. Ce système de communication permet de former toutes les ''phrases'' nécessaires au bon fonctionnement de la fourmilière. Une fois qu'un nombre suffisant d'ouvrières est recruté, je n'ai plus qu'à les conduire jusqu'à l'insecte et à les aider à le transporter.
Vous l'aurez compris: ici, les odeurs servent à tout. Elles servent même de carte d'identité ! Chaque fourmi porte sur elle des odeurs permettant de l'identifier. Une odeur spécifique à l'espèce, une odeur pour la fourmilière: toute fourmi ne portant pas l'odeur de la fourmilière où elle se trouve se fait massacrer, bien qu'elle puisse s'en imprégner en quelques jours si on la met dans une cage la protégeant des agressions. Il existe aussi une odeur indiquant la caste et une autre indiquant l'âge. Les antennes, qui comme je le disais tout à l'heure sont les organes de l'odorat, sont divisés en onze segments, chacun réservés à une phéromone particulière. L'un perçoit l'odeur du domicile, l'autre celle de la piste, un autre encore l'odeur de la reine: si on l'enlève, l'ouvrière ne s'occupe ni de la reine ni des œufs. Une autre phéromone sert d'alarme: dès qu'elles la sentent, les ouvrières avertissent les étages inférieurs en frappant de leurs abdomens les parois des galeries ou emportent le couvain au fond de la fourmilière, tandis qu'au contraire les soldats montent faire face à l'ennemi.


8. Où des fourmis naines viennent chercher des crosses aux fourmis rousses

soldat en train de se nettoyerD'ailleurs, cette odeur d'alarme, ça ne fait pas si longtemps qu'elle s'est répandue dans les couloirs de la cité. C'était au début de l'été dernier, j'avais un ans et demi (les ouvrières vivent à peu près trois ans). Les fourmis naines étaient aux portes de la fourmilière ! Ah oui, vous, vous les appelez ''fourmis d'Argentine'', parce que paraît-il elles viennent de là-bas. Enfin, elles sont vraiment naines: deux mm de long ! Mais elles compensent leur petite taille par un certain nombre d'atouts dont je vous parlerais dans le chapitre suivant. Et surtout, ce sont des conquérantes; elles s'en prennent à toutes les espèces qui se trouvent sur leur chemin. Et ce jour-là, c'était notre tour... Avant de continuer, parlons de notre force de frappe: la caste des soldats (photo), et surtout de leur armes. La nature leur en a donné deux: les mandibules et le venin. D'abord, les mandibules. Alors que chez nous autres ouvrières elles sont taillées pour transporter ou broyer la nourriture, les leurs sont faites pour couper la tête ou percer la cuticule de l'adversaire. Le venin, appelé acide formique, peut être utilisé de plusieurs façon différentes: les Ponérinés et les Myrmicinés disposent d'un aiguillon, d'autre doivent mordre puis déposer une goutte de venin sur la plaie, d'autre enfin, dont les fourmis des bois font partie, possèdent un vaporisateur leur permettant de projeter leur venin jusqu'à un mètre !
Mais revenons à notre guerre; n'étant pas présent, je ne sais pas exactement ce qui c'est passé, mais nos armées maîtrisent aussi bien que vous les encerclements, les retraites précipitées ou ordonnées, les charges massives, les diversions, les percées, les prises à revers ou en tenaille, les sièges et les razzias. De plus, nous n'avons ni généraux, ni stratèges: chaque fourmi peut émettre son idée et tenter de convaincre ses congénères, qui eux-même répandront l'idée, jusqu'à ce que tout le monde approuve l'idée jugée la meilleure. Cette république des idées est la démocratie parfaite (NDT: c'est du moins la théorie de Bernard WERBER, journaliste scientifique et auteur de la trilogie ''Les fourmis'').


9. Où l'on rencontre des fourmis bien de chez nous

fourmis d'Argentine attaquant une autre fourmiBon. Assez parlé de moi, je vais maintenant vous présenter des fourmis que je rencontre souvent lors de mes vadrouilles à travers la forêt. Il y a les cinq espèces de fourmis des bois, dont nous faisons partie et qui construisent d'énormes dômes de brindilles; les ''petites fourmis noires des jardins'' qui comme nous élèvent des pucerons; les fourmis pharaons, espèce invasive introduites accidentellement en France; et enfin une autre espèce invasive dont j'ai déjà parlé: les fourmis d'Argentine (photo). Leur efficacité vient de leur organisation: au lieu que chaque fourmilières ait une odeur propre et qu'aucune fourmi ne la portant pas ne soit tolérée, toutes leurs fourmilières sont reliées et ont une odeur commune sur une vaste zone fourmi esclavagiste emportant un coconappelée super-colonie: la plus grande se trouve en Suisse et compte 1200 nids. Il existe donc une entraide entre fourmilières. Par exemple, si une reine meurt, elle sera remplacée par une princesse fécondée venant d'une autre fourmilière...
Autre espèce bagarreuse: les fourmis esclavagiste. Elle ne possèdent pas d'ouvrières, uniquement des soldats. Pour pouvoir être nourris, ils doivent aller voler des larves et des cocons. Pour ce faire, ils se rendent à une fourmilière voisine puis se séparent en deux groupes. L'un encercle le nid tandis que l'autre pénètre à l'intérieur. Les ouvrières fuient en emportant le couvain mais tombent sur les soldats restés à l'extérieur, qui les forcent à leurs remettre les larves et les cocons (photo). Si elles s'exécutent, ils leurs laissent la vie sauve car chez nous on ne tue jamais inutilement. En effectuant régulièrement des raids de ce type, les esclavagistes ont toujours à leur service des ouvrières. Ce n'est d'ailleurs pas la contrainte qui les pousse à servir leurs maîtres, mais, d'après Maeterlinck, la nature charitable des fourmis.


10. Où l'on découvre des fourmis bizarres des tropiques

prossecion de fourmis parasolMaintenant, parlons des fourmis tropicales. Il y a d'abord les fourmis champignonnistes ou parasol, anid de fourmis tisserandesinsi nommées car elles transportent des morceaux de feuilles au-dessus de leurs têtes (photo), dont je vous ai parlé plus haut, et qui vivent en Amérique du Sud. Elles sont nuisible car elles font une consommation énorme de feuilles: elles peuvent décimer un verger en une nuit. Il y a également les Oecophylles, ou fourmis tisserandes, que l'on trouve en colonne de fourmis légionnairesAfrique, en Amérique et en Asie. Pour construire leurs nids dans les arbres, elles forment des chaînes vivantes qui se suspendent aux feuilles pour en attraper une autre. Puis les ouvrières constituant la chaîne se retirent les unes après les autres afin de joindre les deux feuilles qui sont alors cousues grâce à des larves en train de tisser leur cocon et que les ouvrières déplacent entre les bords des deux feuilles: à droite, à gauche, à droite, à gauche... le fil de soie se colle au feuille et les joint solidement. En répétant cette opération des dizaines de fois, les tisserandes possèdent un nid de feuilles entre les branches (photo).
En Amérique du Sud et en Afrique vivent les terribles fourmis légionnaires, appelées aussi Dorylines ou Magnans. Elles sont nomades et avancent en immenses colonnes (photo) qui tuent tout ce qui ne peut pas s'enfuir. Même la carapace des tortues n'est pas une protection suffisante. Un léopard en cage est transformé en une nuit en un squelette parfaitement nettoyé. Si une personne malade ou trop vieille ne peut pas partir, il faut mettre les pieds du lit dans des bacs de vinaigre et s'assurer qu'il n'y a aucune fissure au plafond par où elles pourraient passer. Leurs colonnes sont organisées de la sorte: au milieu, les ouvrières transportent les larves et les morceaux de viande, tandis que tout autour les soldats vadrouillent à la recherche de proies. La nuit, toute l'armée se met en boule, avec au centre la reine et les œufs, et à l'extérieur les soldats. Leur seule utilité est de nettoyer toutes les habitations de leur vermine, car sur leur passage elles ne laissent rien de vivant.


11. Mémo

Noms latins des fourmis mentionnées:
-fourmis rousses des bois: Formica rufa
-fourmis à reine géante: Carebara vidua
-fourmis charpentières: Camponotus sp.
-fourmis pots-de-miel:Myrmecocystus melliger
-fourmis d'Argentine: Linepithema humile
-petites fourmis noires des jardins: Tetramorium caespitum
-fourmis pharaons: Monomorium pharaonis
-fourmis esclavagistes: Raptiformica sanguinea et Polyergus rufescens
-fourmis champignonnistes: Atta sexdens
-fourmis tisserandes: Oecophylla longinoda
-fourmis légionnaires: Doryline annoma

Classification des fourmis au sein des insectes:
-appartiennent à l'ordre des Hyménoptères
-forment la famille des Formicidés
-sont réparties en quatre sous-familles: les Ponérinées, les Dolichodérinées, les Myrmicinées et les Formicinées
-10000 espèces rescencées à ce jour

Castes et sous-castes:
-sexués mâles
-sexuées femelles vierges, ou princesses
-sexuées femelles fécondées, ou reines
-asexuées ouvrières
-asexuées soldates


 

Principales loges d'une fourmilières:
-entrepôts (graines, proies)
-décharge-cimetière
-latrines
-loges d'hivernation
-loges des fourmis ailées
-loge royale
-loges du couvain
Développement d'une fourmi:
-œuf
-larve (trois stades)
-tissage du cocon (pour les fourmis à cocon seulement)
-nymphose
-naissance de la fourmi adulte
-espérance de vie moyenne: trois ans pour les asexués, quinze ans pour les reines

 

Alimentation des fourmis:
-graines mastiquées
-proies (insectes)
-charognes de vertébrés
-nectar de fleurs
-sève
-fruits
-miellat de pucerons
-champignons (chez quelques espèces seulement)

Principales phéromones:
-phéromones de piste
-phéromones de dialogue
-phéromone du domicile
-phéromone d'identification (âge, caste,espèce)
-phéromone de la reine
-phéromone d'alarmes

 

 

12. crédits photos

circulation à l'entrée d'une fourmilière:Blog de Maurice le randonneur https://germanangue.over-blog.com/ ;
anatomie d'une fourmi : https://www.geocities.com/ooteca/nuisi.htm ;
fourmi ailée : https://commons.wikimedia.org/wiki/User:Rama ;
après le vol nuptial : https://www.chez.com/misterfourmi/ ;
fourmilière géante : Blog de Maurice le randonneur https://germanangue.over-blog.com/ ;
reine fourmi : "buckethead" sur le forum https://www.akolab.com/fourmis/forum/viewtopic.php?t=5793.php ;
larves de fourmis : https://www.myrmecofourmis.fr/spip.php?article26 ;
fourmis élevant ses pucerons : https://www.desinfestation.ch/index.php?deratisation-cafards-guepes=photos/fourmis-rousses&cat=Fourmis ;
fourmis pots-de-miel : Alex Wild sur https://www.myrmecos.net/ ;
piste de fourmis : https://jlhuss.blog.lemonde.fr/2008/03/05/entomologie/ ;
dialogue antennaire : https://www.modia.org/galerie/photo_du_jour.html ;
soldat fourmi : https://seclin.tourisme.free.fr/le_cd_insectes_du_jardin.htm ;
fourmis d'Argentine : Photo © Alex Wild https://tempsreel.nouvelobs.com/actualites/sciences/20060918.OBS2398/?idfx=RSS_sciences ;
fourmi esclavagiste : https://www.harunyahya.fr/livres/science/fourmi/miracle_fourmi_06.php ;
nid de fourmis tisserandes : https://pagesperso-orange.fr/famille.barre/fourmili.htm ;
fourmis parasol : "fleur" sur https://picasaweb.google.com/fleuribiscus/Colombie/photo#5108290678670987378 ;
colonne de fourmis magnans : https://fr.wikipedia.org/wiki/Fourmi_l%C3%A9gionnaire .


 

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